Comment ouvrir le premier numéro d’une nouvelle chronique pop-rock ? Choix difficile car en 60 ans d’histoire il y en a eu des mouvements musicaux, des hits, des moments de grâce, des albums cultes. Choix personnel donc discutable car en la matière il y en a pour tous les goûts, et Dieu merci chacun peut exercer sa liberté de culte (d’album).
Au risque de donner l’impression de commencer par la fin pour ma première rubrique pop-rock, c’est malheureusement l’actualité qui va guider mon choix, tant il est vrai que ces derniers mois la communauté des artistes pop-rock aura payé un lourd tribut.
Tout récemment Prince nous a quittés à l’âge de 57 ans, Billy Paul (Me and Mrs Jones !) à 82 ans. Quelques semaines auparavant George Martin, le « cinquième Beatle », qui aura produit tous les albums de ce groupe mythique à l’exception de « Let it be », l’homme de la montée chromatique orchestrale qui sublime la chanson « A day in the life » clôturant le cultissime album « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band », Sir George Martin est parti à l’âge de 90 ans. Il a donc suivi de près David Bowie (69 ans), Glenn Frey (67 ans), guitariste et co-fondateur de Eagles, « Lemmy » (70 ans), ex Hawkwind et leader de Motörhead, Paul Kantner (74 ans), co-fondateur de Jefferson Airplane puis Jefferson Starship, Maurice White (74 ans), fondateur de Earth Wind and Fire. On est donc loin de la malédiction du « club des 27 », regroupant au paradis des musiciens ceux qui sont décédés à 27 ans, (Brian Jones, Alan Wilson, Janis Joplin, Jim Morrison, Jimi Hendrix, Kurt Cobain, plus récemment Amy Winehouse).
« Blackstar » de David Bowie : un album culte dès sa sortie
J’aurai l’occasion dans de prochaines chroniques d’évoquer tous ces artistes, mais pour l’heure attachons nous donc au 26ième et ultime album studio de David Bowie, « Blackstar », de fait déjà culte à bien des égards.
Culte, il l’est bien sûr par la qualité et l’originalité de ses compositions, sept pépites mixant rock, jazz et expérimentations : ambiance inquiétante et mystique pour les chansons phares « Darkstar » ou « Lazarus », un beat quasi hip-hop et des impros freejazz pour « ‘Tis a pity she was a whore », l’apaisement de la ballade « Dollar Days », le caractère aérien sur lit de synthés de la dernière chanson, « I can’t give everything away », avec son feston final de guitare.
Mais là n’est pas l’essentiel ni le plus surprenant, de la part de quelqu’un qui précisément passa sa vie à nous surprendre. Pour David Bowie sans doute plus que pour tout autre artiste, faut-il voir plus loin que sa musique.
Blackstar sort mondialement le vendredi 8 janvier 2016, le jour même où pour fêter ses 69 ans David Bowie rend publique sur son site une mystérieuse photo de lui hilare, avec comme légende « Why is this man so happy ? ». Seulement deux jours après, la nouvelle de son décès stupéfie le monde. On comprend alors mieux a posteriori le pourquoi d’un CD tout noir, d’un livret imprimé en caractères noirs sur fond noir (au passage on voit là les limites de la dématérialisation des livrets !), d’un David Bowie allongé sur un lit de souffrance dans le clip accompagnant « Lazarus ». Bref, il s’agit à la fois d’un faire-part et d’un testament.
Mais avec le recul, l’album précédent, « The Next Day », album très rock sorti lui aussi à la surprise générale après un silence de 10 ans, ne présentait-il pas déjà certaines des noires caractéristiques de « Blackstar » ? Un CD tout aussi noir avec un carré blanc, la symbolique d’un carré blanc qui fait disparaître le visage de l’artiste de la pochette de l’immense « Heroes » paru 36 ans auparavant (et la seule pochette en noir et blanc de sa discographie)… et surtout la première chanson qui donne son titre à l’album, dans laquelle l’artiste hurle « Here I am, not quite dying, my body left to rot in hollow tree, … »
Et maintenant que David Bowiewas, que dire de la passionnante exposition « David Bowie is », qui tourne dans le monde entier depuis trois ans ? Inaugurée à Londres au moment de la sortie de « The Next Day », conçue comme le bilan d’une vie elle-même conçue comme une œuvre d’art, ne résonnait-elle pas elle aussi comme la mise en scène d’une fin prochaine ?
Comme le dit son fidèle producteur Tony Visconti, « Son décès ressemble à sa vie : c’est une œuvre d’art ».
Le Major Tom blondinet de « Space Oddity » (1969) est donc reparti dans les étoiles, et a peut-être été rejoint par le grand Prince… sur l’astéroïde B612 du Petit Prince !
“This is Major Tom to Ground Control
I’m stepping through the door
And I’m floating in a most peculiar way
And the stars look very different today”
« UMMAGUMMA » Le chef d’œuvre méconnu de Pink Floyd et « JUST A POKE » de Sweet Smoke : le psychédélisme à redécouvrir
par Michel Avenas
Le showroom de Concert-Home présente un concentré de ce que la technologie fait de mieux en matière de hifi, mais il est frappant de constater que les prestigieux ancêtres du son y ont laissé plus que des traces : ne voit-on pas des pavillons d’une forme digne de celle des premiers Gramophones compléter tant l’esthétique que le design acoustique d’enceintes ultra modernes ? Et clairement, pour les audiophiles exigeants, les transistors, les CD et le numérique n’ont pas tué les lampes, les microsillons ni l’analogique. Gageons cependant qu’on ne reviendra pas au mono ! Si tout le monde estime normal aujourd’hui d’avoir (au moins) autant d’enceintes qu’il a d’oreilles, rappelons-nous que les premiers enregistrements de groupes comme les Beatles ou les Rolling Stones, pour ne prendre que les plus prestigieux de l’époque, étaient en mono. La hifi et la stéréo grand public datent en effet de la deuxième moitié des années 60 et je me souviens que certains disques, avec des effets stéréo très prononcés, faisaient alors le bonheur des premiers magasins-showrooms de hifi qui commençaient à fleurir à l’époque. La musique dite psychédélique se prêtait particulièrement à l’exercice, je pense en particulier à deux albums qui alimenteront donc la présente chronique :
« Ummagumma », le quatrième opus de Pink Floyd, Grand Prix de l’Académie Charles Cros.
Ummaguma comprend deux disques, ce qui n’était pas si courant à l’époque de sa parution fin 1969. Le premier de ces disques a été enregistré en public et réunit des superbes versions étendues et largement improvisées des morceaux planants qui ont largement contribué à la renommée du groupe à ses débuts : « Astronomy Domine » ; « Careful with that axe, Eugene » et son cri primal (que personnellement j’associe toujours aux scènes du film « The Shining » de Stanley Kubrick où précisément l’on voit Jack Nicholson manier la hache) ; le spatial « Set the controls for the heart of the sun » ; « A saucerful of secrets » qui, après une progression un peu chaotique, retrouve l’harmonie apaisée d’une lente suite d’accords à l’orgue.
Le second disque, plus expérimental et hétéroclite, réunit des morceaux composés séparément par chacun des quatre membres du groupe et constitue un patchwork d’ambiances diverses. C’est dans ces compositions que l’on trouve quelques curiosités stéréo très marquées : « Grantchester Meadows », chanson très bucolique de Roger Waters mixant au fond de guitare sèche différents chants d’oiseaux et bruits d’animaux et qui se termine par le bourdonnement d’une mouche volant d’un haut-parleur à l’autre, pourchassée par un type qui tente de l’écraser ; le très bizarre « Several species of small furry animals gathered together in a cave and grooving with a pict » (dont le titre est probablement le plus long de toute l’histoire de la musique !) ; « The Grand Vizier’s garden party », composition du batteur Nick Mason, ensemble de collages sonores de diverses percussions.
Il est difficile d’évoquer la musique de « Ummagumma » sans dire un mot de sa pochette, conçue comme pour quasiment tous les albums du groupe par Storm Thorgerson et sa société Hipgnosis. Ces créations ont largement contribué à définir l’esthétisme du groupe.
Au recto de « Ummagumma » un faux effet d’abîme (faux car d’un niveau à l’autre les musiciens changent de place, la scène ne se reproduit donc pas à l’identique) illustre le fait que la musique de Pink Floyd possède plusieurs niveaux de lecture et de compréhension, et également que le groupe est constitué de quatre individualités venant chacune à son tour au premier plan, allusion au deuxième disque. Pour la petite histoire le disque « Gigi » appuyé contre le mur a été remplacé par un carré blanc sur les exemplaires distribués aux USA, pour des raisons de copyright.
Le verso présente tout le matériel utilisé par le groupe, disposé un peu comme un avion de chasse entouré de son armement. Encore pour la petite histoire, une bonne partie de ce matériel leur sera dérobée lors d’une tournée aux USA en avril-mai 1970. Très impressionnant à l’époque, tout ce matériel tenait dans un seul camion, … quand 25 ans après il fallait 50 camions pour transporter le matériel du même groupe !
Just a poke l’album phare du groupe Sweet Smoke, créé en 1967 aux USA
« Just a poke », enregistré en 1970 en Allemagne, constitue l’essentiel de la production du groupe Sweet Smoke, créé en 1967 aux USA.
Cet album se compose de deux longs morceaux (un sur chaque face de vinyl), « Baby Night » et « Silly Sally », tous deux aux allures de jam sessions d’influences diverses, notamment jazz. « Baby Night » comprend même la reprise d’un couplet de la chanson des Doors « The Soft Parade ». Mais c’est surtout le long solo de batterie de « Silly Sally » qui attire l’attention par ses effets spéciaux et stéréo. Le recours au « flanging », qui consiste à additionner à un signal d’origine le même signal légèrement retardé, ce retard étant lui-même modulé à basse fréquence, contribue au dynamisme et à l’originalité de ce passage. De quoi donner le tournis si vous êtes bien placé par rapport à vos enceintes !
En concert à l’Accor Arena le 30 mai 2016
par Michel Avenas
20 heures : tiens c’est curieux la salle est loin d’être remplie, c’est pourtant bien l’horaire inscrit sur le billet. Il est vrai que les contrôles de sécurité à l’entrée sont à juste titre très minutieux. Pour mettre en condition le public multi générationnel qui arrive, un DJ mixe des morceaux du Maître. La scène est flanquée de deux grands écrans en hauteur sur lesquels défile un pêle-mêle photo de diverses époques, avec un effet tournant faisant penser à de gigantesques colonnes Morris.
Un peu après 21 heures : la salle est maintenant archicomble. Retentissent alors la montée chromatique puis l’accord plaqué qui clôturent « A Day in the Life », dernier titre de l’album « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band », immédiatement enchaînés par les derniers accords de « The End » de l’album « Abbey Road » : jolie façon de signifier que c’en est maintenant fini des musiques enregistrées et mixées, place au live ! Les lumières s’éteignent, une photo de la mythique basse «violon» Höfner apparait sur les écrans, et bientôt c’est la vraie qui est brandie par Paul entrant sur scène avec ses musiciens. « Salut les copains ! » lance-t-il. Longs applaudissements d’un public debout et inconditionnel, c’est le délire.
L’accord si caractéristique introduisant la chanson « A Hard Day’s Night » est frappé, suspend son vol quelques secondes au-dessus de nos têtes, et c’est parti pour 2h45 d’un chapelet d’une quarantaine de tubes tous plus connus les uns que les autres.
Paul va parsemer son concert d’hommages aux êtres chers disparus : Linda avec « Maybe I’m Amazed », George Martin, récemment décédé, qu’il nomme le cinquième Beatle, avec « Love Me Do », George avec « Something » qu’il démarre seul au ukulélé, John avec « Here Today ».
Sur les 40 morceaux interprétés ce soir-là, 25 ont été créés par les Beatles, 14 par Paul seul et un par John Lennon (« Give Peace A Chance », que le public entonne spontanément après l’hommage rendu à John, et que les musiciens reprennent).
Paul est entouré de quatre musiciens, les deux guitaristes Rusty Anderson et Brian Ray (qui relaie également Paul à la basse lorsque ce dernier change d’instrument), le claviériste et multi instrumentiste Paul « Wix » Wickens et le batteur Abe Laboriel Jr. Une formation sobre et efficace donc, pas de choristes ni de cuivres. Ce sont les mêmes musiciens qui accompagnent Paul dans toutes ses tournées depuis 2003, on ne change pas une équipe qui gagne. Paul joue alternativement de la basse bien sûr, de la guitare électrique ou sèche, de l’ukulélé, du piano à queue et de son piano droit aux couleurs chatoyantes.
Les 25 chansons des Beatles permettent de retracer l’ensemble de la carrière du groupe, de la première chanson historiquement enregistrée (« In Spite of All The Danger » en 1958) jusqu’aux dernières. Beaucoup d’albums sont ainsi représentés par cette sélection : « Please Please Me », « A Hard Day’s Night », « Revolver », « Rubber Soul », « Magical Mystery Tour », « Sgt Pepper », « The White Album », « Abbey Road », « Let It Be ».
Des 14 chansons de Paul seul, 7 datent des années 70 donc de sa période « Wings », extraites notamment de l’album « Band on the Run », et seulement 5 sont postérieures à 2012, dont 3 de l’excellent album « New » de 2013 : « Save Us », « Queenie Eye » et « New ». Il interprète également sa toute dernière chanson, « FourFiveSeconds », écrite en 2015 avec Kanye West pour Rihanna, dont les paroles du refrain s’affichent derrière lui en karaoké.
Toutes les chansons sont bien entendu accompagnées de vidéos appropriées sur grand écran : un hommage aux femmes du monde entier pendant « Lady Madonna », des décors de fête foraine pendant « Being for the Benefit of Mr Kite », des éléments de lutherie pendant « Eleanor Rigby », où les cordes sont si importantes, des vues de Paris pendant « Michelle », de Moscou pendant « Back in the USSR », le clip de Johnny Depp et Natalie Portman interprétant les paroles de « My Valentine » en langage des signes, etc.
De moments de grâce, comme Paul interprétant seul à la guitare sèche « Blackbird » ou entamant « Yesterday » en rappel, le concert n’en aura pas manqué. Quelques moments kitch également, quand pendant le rappel certains privilégiés parmi le public sont invités à rejoindre Paul sur scène : d’abord un couple brandissant deux panneaux « marry us », demandant à Paul de « bénir » leur engagement, puis une jeune femme déguisée exactement comme la statuette chryséléphantine photographiée sur la pochette de l’album « Wings Greatest » paru en 1978, qui a demandé à être « autographiée » directement sur la peau du bras (… quand va-t-elle se laver ?)
Et le concert se termine par la suite enchaînée « Golden Slumbers » / « Carry That Weight » / « The End » qui clôt « Abbey Road », agrémentée d’un duel musical des trois guitaristes (incluant Paul).
Un concert de Paul Mc Cartney est-il un concert comme les autres ? Bien sûr que non. Qu’il le veuille ou non cet artiste ne vient jamais muni de son seul talent, pourtant déjà énorme. Un concert de Mc Cartney c’est une re-visite d’un demi-siècle de carrière, c’est un voyage dans une époque qu’avec ses acolytes il aura profondément marquée. Ses concerts sont chargés de l’histoire des Beatles, des Wings, et peuplés de bienveillants fantômes, John et les deux George, Harrison et Martin.
Un concert de Mc Cartney c’est aussi pour chacun dans le public un voyage dans sa propre vie : chacun a à un moment ou un autre une larme nostalgique à écraser sur le temps qui passe. Les plus anciens se souviendront à jamais de l’achat de leurs premiers 45 tours, du choc de la première écoute des albums « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band », « The White Album » ou « Abbey Road » au moment de leur sortie, les plus jeunes se remémoreront des souvenirs d’initiation par leurs parents… voire leurs grands-parents !
Un nouveau concert de Paul Mc Cartney est-il comme les autres concerts de Paul Mc Cartney ? Bon, peut-être un peu. C’est vrai que je viens de relire un article du Monde du 27 mars 2003 commentant le concert que Paul avait donné quelques jours auparavant. Ce concert, auquel j’avais également assisté, marquait le retour sur scène de l’artiste après plus de 10 ans d’absence sauf concerts caritatifs. Eh bien force est de constater que cet article pourrait presque tout autant décrire le concert du 30 mai 2016.
Si les noms des tournées changent (« Back in the World Tour » en 2003, « Summer Tour » en 2004, « Secret Tour » en 2007, « Good Evening Europe » en 2009, « On the Run » en 2011, « Out There » en 2015, « One on One » en 2016, pour s’en tenir aux tournées passées par la France), les concerts ont tous à peu près le même format : les mêmes musiciens autour de Paul, les setlists d’une quarantaine de morceaux sont très proches avec la même forte proportion de tubes intemporels des Beatles ou des Wings, les mêmes évocations de sa première épouse Linda, de John et George, le même feu d’artifice pour accompagner « Live and let Die », la même invitation du public à chanter « Hey Jude », les mêmes drapeaux français et anglais brandis en rappel. Lors du concert de 2003, donné seulement quelques jours après l’intervention américaine en Irak, il y avait eu un peu de flottement sur scène lorsque le public avait spontanément entonné « Give Peace A Chance », Paul avait semblé un peu surpris. Mais comme évoqué plus haut ce qui fut un happening non prévu à l’époque est maintenant parfaitement « absorbé » dans le rituel du show. Il faut dire que les raisons d’entonner cet hymne à la paix n’ont depuis lors pas cessé d’être d’actualité, malheureusement.
Mais so what ? Ne boudons pas notre plaisir. Si ces concerts rencontrent toujours autant de succès, c’est que l’enthousiasme reste intact et que ces moments de communion et de célébration sont par les temps qui courent toujours aussi nécessaires et par certains côtés thérapeutiques. C’est ce qui bâtit le culte.
Si à bientôt 74 ans Paul peut être considéré comme un papi du rock, il regorge encore d’énergie et même si parfois, l’âge venant, ses cordes vocales sont manifestement sollicitées plus qu’elles ne devraient, l’heure de l’extinction (de voix) de ce type de dinosaure n’a pas encore sonné. Car le dira-t-on jamais assez, « Rock’n Roll is here to stay ».