En concert à l’Accor Arena le 30 mai 2016

par Michel Avenas

20 heures : tiens c’est curieux la salle est loin d’être remplie, c’est pourtant bien l’horaire inscrit sur le billet. Il est vrai que les contrôles de sécurité à l’entrée sont à juste titre très minutieux. Pour mettre en condition le public multi générationnel qui arrive, un DJ mixe des morceaux du Maître. La scène est flanquée de deux grands écrans en hauteur sur lesquels défile un pêle-mêle photo de diverses époques, avec un effet tournant faisant penser à de gigantesques colonnes Morris.

Un peu après 21 heures : la salle est maintenant archicomble. Retentissent alors la montée chromatique puis l’accord plaqué qui clôturent « A Day in the Life », dernier titre de l’album « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band », immédiatement enchaînés par les derniers accords de « The End » de l’album « Abbey Road » : jolie façon de signifier que c’en est maintenant fini des musiques enregistrées et mixées, place au live ! Les lumières s’éteignent, une photo de la mythique basse «violon» Höfner apparait sur les écrans, et bientôt c’est la vraie qui est brandie par Paul entrant sur scène avec ses musiciens. « Salut les copains ! » lance-t-il. Longs applaudissements d’un public debout et inconditionnel, c’est le délire.

L’accord si caractéristique introduisant la chanson « A Hard Day’s Night » est frappé, suspend son vol quelques secondes au-dessus de nos têtes, et c’est parti pour 2h45 d’un chapelet d’une quarantaine de tubes tous plus connus les uns que les autres.

Paul va parsemer son concert d’hommages aux êtres chers disparus : Linda avec « Maybe I’m Amazed », George Martin, récemment décédé, qu’il nomme le cinquième Beatle, avec « Love Me Do », George avec « Something » qu’il démarre seul au ukulélé, John avec « Here Today ».

Sur les 40 morceaux interprétés ce soir-là, 25 ont été créés par les Beatles, 14 par Paul seul et un par John Lennon (« Give Peace A Chance », que le public entonne spontanément après l’hommage rendu à John, et que les musiciens reprennent).

Paul est entouré de quatre musiciens, les deux guitaristes Rusty Anderson et Brian Ray (qui relaie également Paul à la basse lorsque ce dernier change d’instrument), le claviériste et multi instrumentiste Paul « Wix » Wickens et le batteur Abe Laboriel Jr. Une formation sobre et efficace donc, pas de choristes ni de cuivres. Ce sont les mêmes musiciens qui accompagnent Paul dans toutes ses tournées depuis 2003, on ne change pas une équipe qui gagne. Paul joue alternativement de la basse bien sûr, de la guitare électrique ou sèche, de l’ukulélé, du piano à queue et de son piano droit aux couleurs chatoyantes.

Les 25 chansons des Beatles permettent de retracer l’ensemble de la carrière du groupe, de la première chanson historiquement enregistrée (« In Spite of All The Danger » en 1958) jusqu’aux dernières. Beaucoup d’albums sont ainsi représentés par cette sélection : « Please Please Me », « A Hard Day’s Night », « Revolver », « Rubber Soul », « Magical Mystery Tour », « Sgt Pepper », « The White Album », « Abbey Road », « Let It Be ».

Des 14 chansons de Paul seul, 7 datent des années 70 donc de sa période « Wings », extraites notamment de l’album « Band on the Run », et seulement 5 sont postérieures à 2012, dont 3 de l’excellent album « New » de 2013 : « Save Us », « Queenie Eye » et « New ». Il interprète également sa toute dernière chanson, « FourFiveSeconds », écrite en 2015 avec Kanye West pour Rihanna, dont les paroles du refrain s’affichent derrière lui en karaoké.

Toutes les chansons sont bien entendu accompagnées de vidéos appropriées sur grand écran : un hommage aux femmes du monde entier pendant « Lady Madonna », des décors de fête foraine pendant « Being for the Benefit of Mr Kite », des éléments de lutherie pendant « Eleanor Rigby », où les cordes sont si importantes, des vues de Paris pendant « Michelle », de Moscou pendant « Back in the USSR », le clip de Johnny Depp et Natalie Portman interprétant les paroles de « My Valentine » en langage des signes, etc.

De moments de grâce, comme Paul interprétant seul à la guitare sèche « Blackbird » ou entamant « Yesterday » en rappel, le concert n’en aura pas manqué. Quelques moments kitch également, quand pendant le rappel certains privilégiés parmi le public sont invités à rejoindre Paul sur scène : d’abord un couple brandissant deux panneaux « marry us », demandant à Paul de « bénir » leur engagement, puis une jeune femme déguisée exactement comme la statuette chryséléphantine photographiée sur la pochette de l’album « Wings Greatest » paru en 1978, qui a demandé à être « autographiée » directement sur la peau du bras (… quand va-t-elle se laver ?)

Et le concert se termine par la suite enchaînée « Golden Slumbers » / « Carry That Weight » / « The End » qui clôt « Abbey Road », agrémentée d’un duel musical des trois guitaristes (incluant Paul).

Un concert de Paul Mc Cartney est-il un concert comme les autres ? Bien sûr que non. Qu’il le veuille ou non cet artiste ne vient jamais muni de son seul talent, pourtant déjà énorme. Un concert de Mc Cartney c’est une re-visite d’un demi-siècle de carrière, c’est un voyage dans une époque qu’avec ses acolytes il aura profondément marquée. Ses concerts sont chargés de l’histoire des Beatles, des Wings, et peuplés de bienveillants fantômes, John et les deux George, Harrison et Martin.

Un concert de Mc Cartney c’est aussi pour chacun dans le public un voyage dans sa propre vie : chacun a à un moment ou un autre une larme nostalgique à écraser sur le temps qui passe. Les plus anciens se souviendront à jamais de l’achat de leurs premiers 45 tours, du choc de la première écoute des albums  « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band », « The White Album » ou « Abbey Road » au moment de leur sortie, les plus jeunes se remémoreront des souvenirs d’initiation par leurs parents… voire leurs grands-parents !

Un nouveau concert de Paul Mc Cartney est-il comme les autres concerts de Paul Mc Cartney ? Bon, peut-être un peu. C’est vrai que je viens de relire un article du Monde du 27 mars 2003 commentant le concert que Paul avait donné quelques jours auparavant. Ce concert, auquel j’avais également assisté, marquait le retour sur scène de l’artiste après plus de 10 ans d’absence sauf concerts caritatifs. Eh bien force est de constater que cet article pourrait presque tout autant décrire le concert du 30 mai 2016.

Si les noms des tournées changent (« Back in the World Tour » en 2003, « Summer Tour » en 2004, « Secret Tour » en 2007, « Good Evening Europe » en 2009, « On the Run » en 2011, « Out There » en 2015, « One on One » en 2016, pour s’en tenir aux tournées passées par la France), les concerts ont tous à peu près le même format : les mêmes musiciens autour de Paul, les setlists d’une quarantaine de morceaux sont très proches avec la même forte proportion de tubes intemporels des Beatles ou des Wings, les mêmes évocations de sa première épouse Linda, de John et George, le même feu d’artifice pour accompagner « Live and let Die », la même invitation du public à chanter « Hey Jude », les mêmes drapeaux français et anglais brandis en rappel. Lors du concert de 2003, donné seulement quelques jours après l’intervention américaine en Irak, il y avait eu un peu de flottement sur scène lorsque le public avait spontanément entonné « Give Peace A Chance », Paul avait semblé un peu surpris. Mais comme évoqué plus haut ce qui fut un happening non prévu à l’époque est maintenant parfaitement « absorbé » dans le rituel du show. Il faut dire que les raisons d’entonner cet hymne à la paix n’ont depuis lors pas cessé d’être d’actualité, malheureusement.

Mais so what ? Ne boudons pas notre plaisir. Si ces concerts rencontrent toujours autant de succès, c’est que l’enthousiasme reste intact et que ces moments de communion et de célébration sont par les temps qui courent toujours aussi nécessaires et par certains côtés thérapeutiques. C’est ce qui bâtit le culte.

Si à bientôt 74 ans Paul peut être considéré comme un papi du rock, il regorge encore d’énergie et même si parfois, l’âge venant, ses cordes vocales sont manifestement sollicitées plus qu’elles ne devraient, l’heure de l’extinction (de voix) de ce type de dinosaure n’a pas encore sonné. Car le dira-t-on jamais assez, « Rock’n Roll is here to stay  ».

Michel Avenas