Les derniers enregistrements de Claude Arrau

par Marc Darmon

Lorsque le grand pianiste d’origine chilienne Claudio Arrau est décédé en juin 1991, Philips a édité ses derniers enregistrements (1990-1991) dans une luxueuse collection. Ils sont consacrés à Schubert (sonates, impromptus), Debussy (Suite Bergamasque … ), Beethoven (quatre sonates) et Bach (Partitas).

Interrompues par le décès du pianiste, ces dernières sessions présentent souvent, de façon assez émouvante, des ensembles incomplets : il manque notamment les Partitas de Bach nos 4 et 6, deux morceaux de la suite Pour le piano de Debussy, un opus entier des impromptus de Schubert.

Ce qui caractérisait les derniers enregistrements d’Arrau des années 1980-1990 (Beethoven, Mozart, Liszt, Chopin), à savoir la beauté du son et la profondeur du jeu pianistique, était là porté à son extrême.

Le son de Claudio Arrau est probablement le plus reconnaissable parmi celui des pianistes contemporains. Sur un piano très riche en harmoniques du son fondamental, Arrau parvient à créer une très large palette de nuances qui magnifie le son lui-même. Parfaitement recréé au disque par les ingénieurs de Philips depuis les vingt-cinq dernières années, ce son est restitué dans ces derniers enregistrements de façon proprement inouïe. Il s’agit peut-être des plus belles prises de son de piano qui aient jamais été réalisées.

Les dix dernières années, le jeu d’Arrau s’était radicalisé dans la profondeur et l’intériorité, ce qui pourrait être pris pour lourdeur et pesanteur si ce n’était accompagné d’une musicalité hors du commun. Dans ces dernières sessions, cette caractéristique est encore plus apparente et des passages originellement légers (certains impromptus de Schubert, danses des Partitas de Bach) acquièrent une tension hors du commun. C’est pourquoi ces disques ne pourront jamais être considérés comme des références pour les œuvres en question, mais ils sont pourtant parmi les plus beaux disques de piano des trente dernières années.