Dinah Washington : la Diva méconnue
par Michel Friedling
Au Panthéon des divas du jazz et du blues, Dinah Washington est probablement l’une des plus grandes avec Billie Holiday, Sarah Vaughan et Ella Fitzgerald. Elle est certainement la plus méconnue. Et pourtant, elle fut surnommée de son vivant « The Queen of Blues », la Reine du Blues, titre qu’elle revendiquait elle-même, grâce à sa voix puissante et riche, pénétrante et pleine d’émotion, d’une exceptionnelle sensualité. La vie et la discographie idéale de Dinah Washington par Concert Home.
Née Ruth Jones le 29 août 1924 à Tuscaloosa dans l’Alabama, Dinah Washington grandit à Chicago. Elle commence adolescente à jouer du piano dans les églises de Chicago, remporte un concours de chant, se produit avec Fats Waller en 1942. L’année suivante, elle est engagée par Lionel Hampton chez qui elle reste jusqu’en 1946.
En 1943, elle commence à enregistrer et sort « Evil Gal Blues », son premier tube. Elle enregistre des blues avec Lucky Thompson en 1945 puis signe en 1946 avec la firme Mercury. Sa notoriété grandit rapidement par ses prestations à l’Apollo Theatre sur la 125e rue à Harlem. Elle devient très vite une personnalité qui compte dans la vie artistique de Harlem. Propriétaire de plusieurs cabarets, elle dirige également une agence de concerts.
Au milieu des années 1950, la qualité de son chant et de ses interprétations, associée à un exceptionnel sens musical, séduisent de nombreux musiciens de jazz, parmi lesquels l’arrangeur Quincy Jones, les trompettistes Clifford Brown et Clark Terry, le saxophoniste Ben Webster ou encore le batteur Max Roach. En 1955, elle publie de nombreuses chansons à succès sur les charts R & B, y compris « Baby, Get Lost », « Trouble in Mind », « You don’t know what love is » (arrangé par Quincy Jones), et une reprise de « Cold, Cold Heart » de Hank Williams. En 1958, elle enregistre un album live au Newport Jazz Festival.
What A Difference A Day Makes : le tube qui la propulse au sommet
Mais c’est en 1959 qu’elle rencontre véritablement le succès avec « What A Difference A Day Makes » qui remporte un Grammy Award. La chanson est son plus grand succès et l’album éponyme un succès commercial considérable, malgré quelques avis négatifs de la part de critiques jazz & blues, en raison d’un côté trop commercial reniant ses racines blues et d’une trop grande présence, selon eux, de cordes et de chœurs.
La Reine du Blues, amoureuse et aimée du public
Connue pour ses ballades et chansons d’amours mélancoliques, Dinah eut une vie sentimentale agitée avec sept mariages et six divorces, et plusieurs amants, dont Quincy Jones, son jeune arrangeur. Elle était par ailleurs connue pour être particulièrement exigeante dans la vie. Aimée du public qui l’appelle Queen of the Blues, elle meurt prématurément, au sommet de sa gloire, le 14 décembre 1963 à Detroit d’une overdose de somnifères et d’alcool.
La discothèque idéale par Concert Home
Dinah Washington a enregistré une vingtaine d’albums de son vivant. Pour découvrir Dinah, j’ai sélectionné six albums : Dinah Jams (1954) album live enregistré à Los Angeles avec des musiciens de premier plan, In the Land of Hi-Fi (1956), The Swingin’ Miss « D » (195), Dinah Washington Sings Bessie Smith (1957), What a Diff’rence a Day Makes! (1959), Back to the Blues (1963).
Dinah Jams (1954)
Avec une très belle interprétation de grands classiques comme « Summertime », « I’ve got You under my skin », « «There’s no Greater Love » et une Dinah Washington en pleine forme et qui met en œuvre sans effort sa voix puissante à la fois sur les ballades («There’s no Greater Love » et « No More ») et dans les échanges avec les solistes, avec des jams prolongés («You Go To My Head » et « I’ll remember April»), cet album un très beau disque et probablement mon préféré.
In the Land of Hi-Fi (1956)
« There’ll Be A Jubilee » fait ressortir son influence gospel sur un ensemble qui swingue particulièrement tandis que le magnifique boléro « Let Me Love You » et le lounge mambo « Nothing Ever Changes My Love For You », aux influences latines complètent ce magnifique tableau de son talent. Avec la contribution du saxophoniste Cannonball Adderley et du pianiste Junior Mance, In the Land of Hi-Fi est un très bel album parmi ceux qu’elle a enregistrés avec le label EmArcy dans les années 50.
The Swingin’ Miss « D » (1956)
Des titres qui swinguent comme « Makin’ Whoopee », « Caravan », « Perdido », « Is you is or is You ain’t my Baby » et d’autres somptueusement sensuels et romantiques comme « I’ll close my Eyes », « You’re crying » ou « Every time you say goodbye ».
Un album incontournable où Dinah exprime sa sensualité, sa joie et son talent avec enthousiasme, entourée par un Quincy Jones en pleine forme.
Dinah Washington Sings Bessie Smith (1957)
Dinah Washington joue avec le phrasé de Bettie Smith et revient à des racines gospel tandis que l’accompagnement par Eddie Chamblee et son orchestre donne une tonalité Dixieland à l’ensemble. Réédité à plusieurs reprises (parfois sous le titre The Bessie Smith Songbook), « Dinah Washington chante Bessie Smith » est un équilibre parfait entre hommage et œuvre personnelle authentique.
Un très bel album où Dinah est enjouée et facétieuse, dans un esprit très New Orleans et qui donne envie de bouger.
What a Difference a Day Makes! (1959)
Leur présence n’efface pas tout le talent vocal de Dinah qui développe émotion et sensualité de façon très personnelle. Les arrangements sont efficaces et l’ensemble fonctionne parfaitement. La plupart des chansons sont des standards («I Remember You», « I Thought About You», «Cry Me a River», «Manhattan», «Time After Time»), mais ils sont transcendés par Dinah Washington. Le titre « What A Diff’rence A Day Makes » qui entre au top des charts n’est pas la meilleure chanson de l’album. Son interprétation de Cry Me a River est en revanche tout à fait convaincante.
Au bilan, un album tout en douceur, finalement assez guimauve et un peu répétitif, avec des cordes et des choeurs un peu envahissants mais qui vous transporte sur la 5ème avenue un soir de Noël dans les années cinquante. Probablement pas le meilleur album de Dinah Washington mais un album incontournable pour une soirée romantique…
Back to the Blues (1963)
La plupart des enregistrements de Washington pour Mercury et Roulette durant les quatre années qui suivent et qui furent les dernières de sa vie furent commerciaux et sans souffle, avec des arrangements de cordes omniprésents et Washington se parodiant presque.
« Back to the Blues » qui sort en 1963 fait figure d’exception. Dinah Washington, entourée par un big band jazz revient à ses racines blues et met en valeur son talent inimitable.