Road Trip musical, Episode 1 : Chicago et le Blues

par Michel Friedling

© Michel Friedling

Highway 61 : la route de la musique américaine

Qui ne connaît la Route 66 ? Cette route mythique voit chaque année nombre de touristes et de « bikers » la parcourir dans les deux sens entre Chicago et Los Angeles. Elle est un fantastique choix pour découvrir l’Amérique, de préférence en moto pour coller au mythe.

C’est pourtant une autre route américaine moins connue mais tout aussi mythique que j’ai choisi un jour de parcourir : la Highway 61 qui traverse les Etats-Unis du Nord au Sud, celle qui a donné son nom au sixième album de Bob Dylan en 1965 : Highway 61 revisited.

Partant du Wyoming, cette route conduit jusqu’à la Nouvelle-Orléans en passant par Saint-Louis, Nashville et Memphis avant de parcourir tout le delta du Mississipi. C’est incontestablement la route de la musique américaine, de ses racines Jazz, Blues, Soul et Country. Elle est d’ailleurs baptisée la Blues Highway…

« Keith Richards: Under the Influence » : une plongée dans l’univers musical du guitariste des Rolling Stones à l’origine d’un road trip musical initiatique

C’est en regardant le superbe et très inspirant reportage réalisé par « Keith Richards: Under the Influence », plongée dans l’univers musical du guitariste des Rolling Stones disponible sur la chaine Netflix, que cette envie est née. Je mesurai en effet en écoutant Keith Richards la diversité de ses influences musicales et de sa culture, en même temps que la médiocrité de la mienne.

Je suis donc parti un jour de printemps pour Chicago, petite entorse à la Highway 61 qui ne passe pas vraiment à Chicago, avec l’idée de rejoindre la Nouvelle-Orléans en moto, en traversant les Etats-Unis du nord au sud, pour découvrir et tenter de comprendre les diverses influences des maitres de la musique pop-rock et toute la musique américaine contemporaine.

Chicago, ses courants musicaux, ses musiciens les plus emblématiques et ses clubs seront donc l’objet des premiers épisodes de la série consacrée à ce road trip musical.

Chicago : une ville d’art, d’architecture et d’histoire

Le parc Millenium (© Michel Friedling)

Car Chicago, depuis toujours capitale économique et culturelle du Mid-West américain, surnommée Windy City (ville des vents) en raison des vents violents qui s’engouffrent dans ses rues rectilignes après avoir balayé les eaux glacées du Lac Michigan en hiver, est certes la ville de la prohibition, d’Al Capone et d’Elliot Ness, de Tintin en Amérique, celle du Millenium Park, du Chicago Symphony Orchestra, premier opéra construit sur le sol américain, dirigé depuis sa création par les plus grands maitres, aujourd’hui Ricardo Mutti.

La façade du Chicago Symphony Orchestra (© Michel Friedling)

C’est encore la ville qui dispute à New-York le titre de ville des premiers gratte-ciels et que l’on qualifie parfois de « capitale mondiale des gratte-ciel » étant donné son panorama urbain le plus important des États-Unis et parmi les plus importants dans le monde

Les gratte-ciel de Chicago vu de la Willis Tower, plus haute tour des Etats-Unis après le World Trade Center de NYC
© Michel Friedling

Chicago est véritablement la ville d’architecture avec notamment l’héritage de Frank Lloyd Wright, architecte avant-gardiste, génial et rebelle du début du siècle dernier, dont la vie et la passion tumultueuse avec Mamah Borthwick Cheney, militante féministe, sont racontées dans le best-seller « Loving Frank » de Nancy Horan (Le Livre de Poche, 2008).

Le métro aérien de Chicago et la tour Trump (© Michel Friedling)

Le Chicago Blues : le blues du Mississipi électrifié

© Michel Friedling

Mais Chicago est avant tout une des villes emblématiques du Jazz et du Blues. Car si le delta du Mississipi est incontestablement le berceau du blues, Chicago reste néanmoins la ville où le blues s’est inscrit dans la culture musicale nord-américaine, avec une influence déterminante sur de nombreux artistes rock comme les Yardbirds, les Who, les Rolling Stones, les Beatles, Jimi Hendrix ou Led Zeppelin. Initialement musique noire américaine, l’influence du Chicago Blues a également été déterminante sur la musique folk américaine et sur Bob Dylan en particulier, ou encore sur les jeunes musiciens blancs de l’époque tels qu’Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins et Johnny Cash.

Le Chicago Blues a été popularisé, et d’une certaine façon immortalisé, en 1980 par le film culte « Les Blues Brothers » tourné pour l’essentiel à Chicago, et notamment au sein du pénitentier d’Etat de l’Illinois, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Chicago, avec l’apparition à l’écran et en musique, outre John Belushi (le chanteur Jake Blues) et Dan Aykroyd (le joueur d’harmonica Elwood Blues), fondateurs du groupe éponyme en 1976, des plus grands de la soul et du blues du moment : Aretha Franklin, James Brown, Cab Calloway, Ray Charles, John Lee Hooker ou Chaka Khan.

Les frères Jake et Elwood Blues à l’entré du club House of Blues à Chicago (© Michel Friedling)

Le blues de Chicago est une forme de blues urbain né à Chicago et Saint Louis (Missouri) au sud de Chicago dans les années 30, après la grande migration des Noirs Américains venant des Etats du Sud vers les cités industrielles du Nord. Ce sont les musiciens de rue qui donnent naissance à cette musique, notamment dans les allées et les environs du marché en plein air de Maxwell Street. Les meilleurs d’entre eux finissent dans les clubs qui commencent à ouvrir dans les quartiers noirs du South Side et du West Side. Dans les années 30, le plus célèbre d’entre eux est The Gate où tous les maitres de l’époque se produisent.

La liste des grands bluesmen de Chicago est longue. On peut citer parmi les plus connus Muddy Waters, Howlin’ Wolf, Willie Dixon, Earl Hooker, Buddy Guy, Bo Diddley, ou Koko Taylor, surnommée the Queen of the Blues. Mais c’est incontestablement «Muddy Waters», le guitariste et chanteur originaire du Mississippi qui, en 1947, amplifie sa guitare instrument et lance le « Chicago Blues ». Son blues électrique musclé inspire partout aux États-Unis des musiciens tels que Howlin’ Wolf, Bo Diddley et Chuck Berry, tous enregistrés et produits sous le label Chess Records fondé par les frères Leonard et Phil Chess, plus important label de Chicago blues.

Muddy Waters

Bien que dans les années 1960, d’autres villes américaines, telles que Memphis avec Stax et Detroit avec Motown, aient commencé à défier la prééminence du blues de Chicago, de nouveaux artistes de blues comme Otis Rush, Magic Sam, Koko Taylor, Hound Dog Taylor et Son Seals émergent à Chicago et prennent la relève.

Episode 2 (à venir) : Muddy Waters et Howlin’Wolf

« Chicago Blues: aux origines du blues » – Toute L’Histoire : une excellente introduction au Blues

Marvin GAYE : un destin tragique

par Eric Leboucher

Parler de soul music et choisir un artiste parmi tous ceux qui ont compté pour ce genre musical n’est pas chose aisée. Cependant, nous avons choisi de revenir sur la carrière de Marvin Gaye (de son vrai nom Marvin Pentz Gay Jr.) qui, en plus de disparaitre trop tôt, aura eu une vie pour le moins chaotique.

Enfant, c’est le père de Marvin Gaye qui prophétisa sa gloire. Paradoxalement, c’est aussi lui qui participera à sa chute. Dès sa jeunesse, Marvin Gaye chante des gospels au sein de l’église paternelle. Il apprécie ces moments de liberté et les fidèles ne restent pas longtemps insensibles à son talent (et à son charme). Il n’est pas rare qu’à la fin du service, les fidèles viennent plutôt voir Marvin Gaye Jr pour lui témoigner leur sympathie et leur admiration. Quotidiennement battu par son père, Marvin Gaye s’engage dans l’Air Force en 1956 afin d’échapper à cette violence.

Stubborn Kinda Fellow et Pride and Joy : les premiers succès

De retour à Washington en 1957 il se tourne vers la musique. En 1960, à la recherche de nouveaux talents, Berry Gordy (Tamla Motown) décide d’engager Marvin Gaye en tant que batteur de studio et de tournée pour les Miracles (le groupe de Smokey Robinson, autre icône de la Motown) et le jeune Stevie Wonder. Mais le rôle de musicien de studio est bien trop réducteur pour un homme qui aspire avant tout à chanter et à devenir le nouveau Nat King Cole (à qui il voue une admiration sans faille). En 1962, les singles « Stubborn Kinda Fellow », puis « Pride and Joy » lui permettent de goûter au succès commercial, confirmé ensuite par la sortie de plusieurs albums live. Il épouse Anna Gordy (sœur de Berry Gordy) l’année suivante. Ils adoptent un enfant qu’ils prénomment Marvin III en 1965.

Le temps de duos avec Tammi Terrell

Marvin Gaye va ensuite enchaîner une série d’albums de duo avec différentes partenaires telles que Mary Wells, Kim Weston et surtout Tammi Terrell avec qui il va enregistrer plusieurs albums. Motown est consciente du potentiel sentimental de son poulain et la plupart de ses disques se révèleront de véritables succès commerciaux. Ils vont permettre à Marvin Gaye d’asseoir un statut de sex-symbol auprès du grand public. Mais le bonheur n’est pas fait pour Marvin Gaye qui dès 1967 tente de mettre fin à ses jours, accablé par des problèmes récurrents avec sa femme et surtout très affecté par les premiers signes de la maladie qui emportera Tammi Terrell trois ans plus tard. C’est avec elle que Gaye forme une grande amitié et un duo musical mémorable avec la sortie de plusieurs singles à succès (dont « Ain’t no mountain high enough », « Your precious love », etc …), la plupart écrits par Ashford et Simpson. Les deux jeunes artistes sortent ensemble trois albums chez la maison de disques de 1967 à 1969. Suite à la mort de Tammi Terrell mars 1970, Marvin Gaye sombre dans la dépression. C’est aussi à cette époque qu’il décide de ne plus se produire sur scène. Il se plonge dans la cocaïne dont il devient vite très dépendant.

What’s going on : l’album de la souffrance

En 1971, après de longs mois de solitude et de réflexion, il revient avec un nouveau disque, « What’s going on ». Dans la chanson éponyme, Marvin Gaye s’adresse à son père dans certaines paroles comme « Father, father. We don’t need to escalate » (« Père, Père, nous n’avons pas besoin de cette escalade (de violence) ») qui prendra un sens vraiment particulier et morbide le 1er avril 1984.

Entre 1973 et 1980, il reste englué dans la dépression et son extrême dépendance à la cocaïne n’arrange pas les choses. Après deux années terriblement difficiles sur le plan affectif et financier, Marvin Gaye décide de s’exiler en Angleterre. Il en profite pour quitter Motown qui vient de sortir  « In Our Lifetime » (1981) sans sa permission. Déprimé et drogué à outrance, Marvin Gaye s’effondre lentement.

« Midnight Love » : l’album du succès éternel

Ce n’est qu’en 1982 que le vent tourne à nouveau. Motown accepte de vendre le contrat de Marvin Gaye à CBS et l’album « Midnight Love » sort à la fin de l’année. Grâce au morceau intitulé « Sexual Healing », Marvin Gaye retrouve le sommet des charts Soul. L’album se vend bien et il en profite donc pour retourner dans son pays natal. Il obtient même deux Grammy Awards pour ce dernier album. Sa paranoïa est à son apogée à la fin de sa tournée promotionnelle fin 1983, date à laquelle il retourne près de sa mère, dans la maison familiale qu’il avait acheté à ses parents.

Une fin tragique

Au matin du 1er avril 1984 une dispute, comme souvent, éclate entre Marvin Gaye et son père. Ce dernier sort une arme et tire deux balles en direction de son fils, qui le blesseront mortellement. L’ironie veut que l’arme avec laquelle Marvin Gay Senior tire sur son fils est un revolver de calibre 38 qui lui a été offert par Marvin lui-même comme cadeau de Noël quatre mois plus tôt. Lors de son arrestation, ce soir-là, le père clame ses regrets : « Si je pouvais le ramener, je le ferais. J’avais peur de lui. J’ai pensé qu’il allait me faire du mal. Je ne savais pas ce qui allait se passer. Je l’aimais. Je souhaiterais qu’il passe cette porte maintenant. »

Nous aussi !

(Courtesy : Motown, CBS, Universal Music)

Dinah Washington : la Diva méconnue

par Michel Friedling

Au Panthéon des divas du jazz et du blues, Dinah Washington est probablement l’une des plus grandes avec Billie Holiday, Sarah Vaughan et Ella Fitzgerald. Elle est certainement la plus méconnue. Et pourtant, elle fut surnommée de son vivant « The Queen of Blues », la Reine du Blues, titre qu’elle revendiquait elle-même, grâce à sa voix puissante et riche, pénétrante et pleine d’émotion, d’une exceptionnelle sensualité. La vie et la discographie idéale de Dinah Washington par Concert Home.

Née Ruth Jones le 29 août 1924 à Tuscaloosa dans l’Alabama, Dinah Washington grandit à Chicago. Elle commence adolescente à jouer du piano dans les églises de Chicago, remporte un concours de chant, se produit avec Fats Waller en 1942. L’année suivante, elle est engagée par Lionel Hampton chez qui elle reste jusqu’en 1946.

En 1943, elle commence à enregistrer et sort « Evil Gal Blues », son premier tube. Elle enregistre des blues avec Lucky Thompson en 1945 puis signe en 1946 avec la firme Mercury. Sa notoriété grandit rapidement par ses prestations à l’Apollo Theatre sur la 125e rue à Harlem. Elle devient très vite une personnalité qui compte dans la vie artistique de Harlem. Propriétaire de plusieurs cabarets, elle dirige également une agence de concerts.

Au milieu des années 1950, la qualité de son chant et de ses interprétations, associée à un exceptionnel sens musical, séduisent de nombreux musiciens de jazz, parmi lesquels l’arrangeur Quincy Jones, les trompettistes Clifford Brown et Clark Terry, le saxophoniste Ben Webster ou encore le batteur Max Roach. En 1955, elle publie de nombreuses chansons à succès sur les charts R & B, y compris « Baby, Get Lost », « Trouble in Mind », « You don’t know what love is » (arrangé par Quincy Jones), et une reprise de « Cold, Cold Heart » de Hank Williams. En 1958, elle enregistre un album live au Newport Jazz Festival.

What A Difference A Day Makes : le tube qui la propulse au sommet

Mais c’est en 1959 qu’elle rencontre véritablement le succès avec « What A Difference A Day Makes » qui remporte un Grammy Award. La chanson est son plus grand succès et l’album éponyme un succès commercial considérable, malgré quelques avis négatifs de la part de critiques jazz & blues, en raison d’un côté trop commercial reniant ses racines blues et d’une trop grande présence, selon eux, de cordes et de chœurs.

La Reine du Blues, amoureuse et aimée du public

Connue pour ses ballades et chansons d’amours mélancoliques, Dinah eut une vie sentimentale agitée avec sept mariages et six divorces, et plusieurs amants, dont Quincy Jones, son jeune arrangeur. Elle était par ailleurs connue pour être particulièrement exigeante dans la vie. Aimée du public qui l’appelle Queen of the Blues, elle meurt prématurément, au sommet de sa gloire, le 14 décembre 1963 à Detroit d’une overdose de somnifères et d’alcool.

La discothèque idéale par Concert Home

Dinah Washington a enregistré une vingtaine d’albums de son vivant. Pour découvrir Dinah, j’ai sélectionné six albums : Dinah Jams (1954) album live enregistré à Los Angeles avec des musiciens de premier plan, In the Land of Hi-Fi (1956), The Swingin’ Miss « D » (195), Dinah Washington Sings Bessie Smith (1957), What a Diff’rence a Day Makes! (1959), Back to the Blues (1963).

Dinah Jams (1954)

Enregistré à Los Angeles en studio mais devant un auditoire et en live, cet album met en scène une pléiade de musiciens remarquables qui tiennent autant que Dinah la tête d’affiche et lui volent parfois la vedette. Max Roach (batterie), Clifford Brown et Clark Terry (trompette), Harold Land (saxophoniste ténor), Richie Powell (piano) et Herb Geller (saxo alto) participent à la session.

Avec une très belle interprétation de grands classiques comme « Summertime », « I’ve got You under my skin », « «There’s no Greater Love » et une Dinah Washington en pleine forme et qui met en œuvre sans effort sa voix puissante à la fois sur les ballades («There’s no Greater Love » et « No More ») et dans les échanges avec les solistes, avec des jams prolongés («You Go To My Head » et « I’ll remember April»), cet album un très beau disque et probablement mon préféré.

In the Land of Hi-Fi (1956)

Comme avec la plupart des disques de Dinah Washington, In the Land of Hi-Fi comprend un programme éclectique de ballades et de jams avec des musiciens exceptionnels. Encadré par le mélange d’arrangements et de tableaux à grand orchestre de Hal Mooney, Washington exprime parfaitement tendresse et passion à des titres comme « I’ve Got A Crush On You» et « Say It Isn’t So», « Our Love Is Here To Stay » et « If I Were A Bell. »

« There’ll Be A Jubilee » fait ressortir son influence gospel sur un ensemble qui swingue particulièrement tandis que le magnifique boléro « Let Me Love You » et le lounge mambo « Nothing Ever Changes My Love For You », aux influences latines complètent ce magnifique tableau de son talent. Avec la contribution du saxophoniste Cannonball Adderley et du pianiste Junior Mance, In the Land of Hi-Fi est un très bel album parmi ceux qu’elle a enregistrés avec le label EmArcy dans les années 50.

The Swingin’ Miss « D » (1956)

Dinah Washington est accompagnée par un orchestre dirigé par Quincy Jones sur cet album de 1957. Les arrangements sont écrits principalement par Quincy Jones sur des standards de Cole Porter, George Gershwin et Duke Ellington. L’album est dans la philosophie des albums de Frank Sinatra de la même période, notamment parce que les arrangements de Jones ont été fortement influencés par Billy May et Nelson Riddle.

Des titres qui swinguent comme « Makin’ Whoopee », « Caravan », « Perdido », « Is you is or is You ain’t my Baby » et d’autres somptueusement sensuels et romantiques comme « I’ll close my Eyes », « You’re crying » ou « Every time you say goodbye ».

Un album incontournable où Dinah exprime sa sensualité, sa joie et son talent avec enthousiasme, entourée par un Quincy Jones en pleine forme.

Dinah Washington Sings Bessie Smith (1957)

Dotée d’une voix forte et belle et d’un phrasé très précis, Dinah Washington a traduit l’esprit de Bessie Smith mieux encore que Billie Holiday, la plus célèbre disciple de Smith. Pour son album hommage, Washington a évité les chansons les plus connues de Smith et a choisi les chansons ses plus provocantes telles que « Send Me to the electric Chair, » « Jailhouse Blues, » and « You’ve Been a Good Ole Wagon. »

Dinah Washington joue avec le phrasé de Bettie Smith et revient à des racines gospel tandis que l’accompagnement par Eddie Chamblee et son orchestre donne une tonalité Dixieland à l’ensemble. Réédité à plusieurs reprises (parfois sous le titre The Bessie Smith Songbook), « Dinah Washington chante Bessie Smith » est un équilibre parfait entre hommage et œuvre personnelle authentique.

Un très bel album où Dinah est enjouée et facétieuse, dans un esprit très New Orleans et qui donne envie de bouger.

What a Difference a Day Makes! (1959)

Un des albums les plus illustres de l’histoire de la musique vocale, What a Diff’rence a Day! a propulsé Dinah dans la catégorie des stars universelles tout en la soumettant à la critique des puristes du jazz. Ces derniers lui reprochent en effet de devenir avec cet album une chanteuse de variétés. Le label Mercury décide en effet de l’entourer d’un ensemble à cordes et de choeurs vocaux dans l’esprit des succès radiophoniques du moment.

Leur présence n’efface pas tout le talent vocal de Dinah qui développe émotion et sensualité de façon très personnelle. Les arrangements sont efficaces et l’ensemble fonctionne parfaitement. La plupart des chansons sont des standards («I Remember You», « I Thought About You», «Cry Me a River», «Manhattan», «Time After Time»), mais ils sont transcendés par Dinah Washington. Le titre « What A Diff’rence A Day Makes » qui entre au top des charts n’est pas la meilleure chanson de l’album. Son interprétation de Cry Me a River est en revanche tout à fait convaincante.

Au bilan, un album tout en douceur, finalement assez guimauve et un peu répétitif, avec des cordes et des choeurs un peu envahissants mais qui vous transporte sur la 5ème avenue un soir de Noël dans les années cinquante. Probablement pas le meilleur album de Dinah Washington mais un album incontournable pour une soirée romantique…

Back to the Blues (1963)

Avant son hit de 1959 « What a Difference a Day Rakes », presque tous les enregistrements de Dinah Washington (peu importe le style) intéressaient les amateurs de blues et de jazz.

La plupart des enregistrements de Washington pour Mercury et Roulette durant les quatre années qui suivent et qui furent les dernières de sa vie furent commerciaux et sans souffle, avec des arrangements de cordes omniprésents et Washington se parodiant presque.

« Back to the Blues » qui sort en 1963 fait figure d’exception. Dinah Washington, entourée par un big band jazz revient à ses racines blues et met en valeur son talent inimitable.

Autres albums

1950: Dinah Washington Songs

1952: Blazing Ballads

1952: Dynamic Dinah

1953: After Hours with Miss « D »

1954: Jazz Sides

1956: Dinah!

1957: Dinah Washington Sings Fats Waller

1957: Music for a First Love

1957: Music for Late Hours

1958: Newport (1958)

1959: The Queen

1960: Two of Us

1962: In Love

1962: Dinah ’62

1963: Dinah ’63

Malia en concert au SUNSET SUNSIDE le 25 mai 2018 : un grand moment de grâce

par Michel Friedling

Une voix sensuelle et chaude, une extraordinaire sensibilité : Malia est bien la digne héritière de Nina Simone. Cette superbe artiste était de passage à Paris à l’occasion de la sortie de son album RIPPLES pour deux concerts les 25 et 26 mai 2018 au Sunset-Sunside auxquels Concert Home a assisté.

Un grand moment de joie, de grâce, de poésie, de musique…et l’occasion de (re)découvrir cette artiste magnifique et trop méconnue.

Accompagnée du pianiste Alexandre Saada et d’un trio à cordes, Malia a radicalement dépouillé son travail original, passant du style pop-jazz à un son dépouillé, bluesy et soul qui, plus que jamais, repose sur la force et la sensualité de sa voix.

Une superbe session durant laquelle elle a montré son talent, son humour en reprenant tous les titres de son dernier album mais également des titres classiques figurant sur son album Black Orchid tels que « Don’t explain » (grand moment d’émotion), « Baltimore » et « Feeling good » (superbement interprété). Ou encore pour terminer le set « Imagine » de John Lennon qu’elle transcende avec un Alexandre Saada particulièrement inspiré au piano.

This is You : un duo fusionnel pour un jazz rythmique et lyrique.

par Nicolas Petitot

Retrouvailles entre deux grands musiciens compositeurs, le saxophoniste franco-camerounais Jean Jacques Elangué, le pianiste américain Tom McClung. Un duo fusionnel et intime. Leur album « This Is You » produit par Blang Music livre un jazz rythmé, lyrique, très évocateur. Un ami qui dit à l’autre : c’est toi, je reconnais ta voix. La musique comme un échange !

« Le pianiste américain et le saxophoniste africain se sont rencontrés à Paris et ont si bien dialogué en musique qu’ils ont enregistré ici un disque en duo. Plus que rencontrés, ils se sont donc reconnus. Belle histoire du jazz. »
Michel Contat, TELERAMA

« …McClung et Elangué ont gagné leur pari…Sur le terrain d’un jazz qui n’a pas honte de son identité (bebop, blues, ballades) les deux musiciens engagent de véritables dialogues où chacun montre des belles capacités de soliste. Un disque à découvrir avec, cerise sur le gâteau, le superbe Fleurette Africaine de Duke Ellington. »
Philippe Vincent, JAZZ MAGAZINE

« Une merveille de disque en duo, éclatant d’intelligence et de feeling qui réveille le souvenir d’autres mano a mani saxophone piano mémorables…»
Bernard Loupias, LE NOUVEL OBS

« La complicité ‘monkienne’ entre la précision lyrique du piano et la fougue retenue du sax ténor permet de tout faire passer avec une désinvolture pleine de swing »
Samy Hassid, LYLO

« Il est toujours utile de fréquenter de doués ainés. Tom McClung est le pianiste attitré du saxophoniste Archie Shepp tandis que le saxophoniste Jean-Jacques Elangué a souvent joué avec l’un des meilleurs claviers du jazz hexagonal, Alain Jean-Marie. Or Shepp et Jean-Marie ont produit chacun de beaux disques en duo, le premier avec Horace Parlan et Dollar Brand notamment, le second avec Barney Willen par exemple. Rien d’étonnant sans doute à ce que leurs disciples respectifs se montrent eux aussi habiles à cet exercice de face-à-face complice. Dans ce This is You produit par le label Blang Music, ils savent être diserts, voire volubiles, sans sombrer dans le bavardage. Chacun élabore son propos tout en rebondissant sans cesse sur celui de l’autre. Alors que la charge de la pulsation rythmique aurait pu reposer sur le seul piano, elle est au contraire assurée à quatre mains d’un bout à l’autre. Un beau dialogue en vérité. »
Yann Mens, LA CROIX

PHARAO SANDERS au NEW MORNING
le 12 juillet 2016

par Corinne Minot

Dans le cadre du Festival All Stars, Pharoah Sanders, légende vivante du saxophone appelée par John Coltrane à rejoindre son groupe, s’est à nouveau exceptionnellement produit mardi 12 juillet 2016 au New Morning dont il est un fidèle et qu’il retrouve après son dernier concert de mai 2013. Dans la salle on aura relevé la présence de l’ami Lonnie Smith, complicité des barbichettes de ces deux sages qui ont tout vu, Smith également programmé dans le cadre du Festival All Stars.

Pharoah Sanders un géant, un prophète, un démiurge qui rappelle au son chaleureux de sa voix The Power of God et à la puissance édifiante de son saxophone que God has a Master Plan! Présence mystique, les mains au ciel, son souffle divin fait ressurgir des sons cristallins, les fidèles sont en véritable communion, incités à l’adoration de celui qui rappelle que la musique ainsi incarnée est une rédemption !

Pharoah Sanders invoque Dieu et clôt son concert de deux heures et demi par un « God bless » mais c’est lui le dieu sur scène.

“C’est du géant, du puissant, du saxo rayonnant. Généreux, savoureux, délicieux, Pharaoh Sanders prodigue un acte d’amour fol et pur, le plaisir est immense et sûr.”

Le premier enregistrement solo de Jack DeJohnette

par Newvelle Records

Return Features New Compositions and Reinterpretations of Jack’s Classics

Most musicologists agree that the piano is a percussive instrument as well as a melodic and harmonic instrument. Based on this widely accepted premise, the piano and the drum come from the same place.

NEA Jazz Master recipient and legendary jazz drummer Jack DeJohnette knows this as well as any musicologist, and probably better. For more than five decades, DeJohnette has been the rhythmic anchor behind some of the most innovative and groundbreaking jazz ever captured in the studio or created on stage. Along the way, he has collaborated with legends: Miles Davis, John Coltrane, Thelonious Monk, Keith Jarrett, Pat Metheny and many others.

But even before he was a drummer, DeJohnette was a pianist. He took his first musical steps on piano as a child before switching to drums, but colleagues and fans who know him best also know him as a brilliant piano composer whose keyboard work has been featured on various recordings over the course of his career.

Jack DeJohnette the pianist steps into the spotlight alone in the spring of 2016 with the release of Return, the very first solo piano recording of his long and distinguished career. Return, scheduled for a vinyl-only release in April of, 2016, on Newvelle Records, features two brand new compositions as well as reinterpretations of compositions recorded with earlier bands and projects. Newvelle’s new and exciting subscription only business model caters to the serious audiophile listener.

“Recording a solo piano project is a very challenging, because it’s just you,” he says. “So I really had to think about the repertoire – what I would record, what would make sense. I wrote two new pieces, and I also played some of my earlier works that I had recorded previously with various ensembles. It was a challenge for me – and an exciting one – to play my own music in a new way. I didn’t want to be in competition with other musicians. I just wanted to make a statement with this record.”

The statement is clear from the very first track, “Ode to Satie,” a brand new composition from DeJohnette. The piece draws its inspiration from – and pays tribute to – the short, atmospheric Gymnopedies composed by French pianist Erik Satie in the late 1800s. “They are very peaceful compositions, especially when you consider the frantic world we live in,” says DeJohnette. “They have always relaxed me, so I drew inspiration from them when I composed this piece. I wanted to conjure up the moods they represent. When you hear the track, you can hear Satie’s influence.”

“Ebony” is a reinterpretation of the DeJohnette composition originally wrote and recorded for the 1980 album, Special Edition. “I had never recorded it on solo piano, so it was fun to do it that way. My approach here is totally different from the arrangement that I recorded with that band. It’s in a number of different odd meters – three-four, seven-four, six-eight – which just makes it a fresh take on one of my past compositions.”

“Silver Hollow” revisits the classic DeJohnette piece first recorded for the New Directions album with guitarist John Abercrombie, trumpeter Lester Bowie and bassist Eddie Gomez in 1978. “Silver Hollow is the name of the area where I live in upstate New York,” says DeJohnette. “It’s a very special piece that celebrates an equally special place. It’s a song that captures the love I have for this beautiful part of the country.”

Every artist has a muse, and DeJohnette has Lydia, his wife and life partner of many years. “Lydia,” which DeJohnette originally recorded with Dave Holland, John Abercrombie, Alex Foster and Mike Richmond for the New Rags album in 1977, is his ode to her. “This song gets better and better every time I play it,” says DeJohnette. “Lydia is a very, very important person in my life. She is my inspiration. A lot of things I have accomplished in my career would not have been possible without her wisdom and inspiration. I’m blessed. I have a great muse. I love her very much.”

The version of “Blue” within this set is at least the third version DeJohnette has recorded since he first composed it for the Gateway Trio’s Gateway 2 album in 1977. He recorded it again with Special Edition a few years later. “This version is more rubato than previous versions,” says DeJohnette. “The tempo is more elastic. And it’s in a minor key, which makes it a dark but beautiful melody.”

The second of the two new pieces on Return is the churning “Dervish Trance,” a song inspired by the whirling meditative dance of the Sufi Dervishes. “I had actually come up with the melody while touring with the Spring Quartet an ensemble consisting of Joe Lovano, Esperanza Spalding and Leo Genovese and myself. We performed the song live several times before I adapted it further for this recording. I titled the composition “Dervish Trance,” being inspired by Sufi who I had seen a few years ago – once on TV and then again in person. It’s fascinating to just watch them spin around when they get into this altered state of consciousness,” says DeJohnette

The atmospheric “Indigo Dreamscapes” originally appeared on Parallel Realities, DeJohnette’s 1990 recording with Pat Metheny and Herbie Hancock. “This version has kind of a pastel sound to it,” says DeJohnette. “It has a nice simple melody and groove. I just like the way it feels.”

“Song for World Forgiveness” first appeared on Live in Tampere and Berlin, a 2000 collaborative recording project featuring DeJohnette and saxophonist, clarinetist and composer John Surman. “I wrote the piece as a meditation to put a positive vibration into the world,” says DeJohnette. “There are a lot of things that humanity has done to itself that need to be undone before we can move to a better place, and we can’t do that unless we find a way to forgive. It’s a song for forgiveness so we can elevate ourselves and move to the next level of consciousness.

The breezy and carefree “Exotic Isles,” also from the Parallel Realities album, “is a sound that reminds me of some nice island in the Mediterranean,” says DeJohnette. “That’s the kind of feeling it’s always given me. That was the title that came to me after I wrote it.”

The haunting closer, “Ponta de Areia,” was written by Brazilian guitarist, pianist, vocalist and composer Milton Nascimento, a longtime favorite of DeJohnette. “The idea behind the song is that there was a train that used to go to Ponta de Areia in Brazil,” he explains. “People used to get there by bridge, but then the bridge was taken down, so there was no way to get there by railroad anymore. So the people lost their connection to the outside. The melody is repetitive, and the more you play it, the more beautiful it becomes. In the beginning, it has a nice sort of nursery rhyme – a light, airy treatment of the melody. And I ended it the same way. It’s a nice way to say goodbye and send the listeners on their way.”

Whatever the connection between drums and piano – percussion, melody, rhythm, harmony or all of the above – DeJohnette admits that he didn’t think about it too much when he went into the studio to lay down tracks in the making of Return. “I was just going for a mood, a feeling,” he says. “I didn’t try to intellectualize anything. I just wanted to take the music to a different space and let the spirit take me – and take the listener – wherever it wanted to go. It’s a collaboration of mind, body, soul and spirit. It’s a return to something basic and universal and beautiful.” Newvelle Records